héctor pérez brito

Halle 52 du Site Artamis en 2001 à Genève - première mondiale en français
Les Halles de la Fonderie de Carouge en 2002 - reprise
Lettre de motivation dans l’intention, et vice-versa
Principale motivation du Vrak'S T'Atros avec « El Filantropo » rendre hommage au théâtre, sans prétention mais en toute conviction.
Cette pièce est tout d’abord un compromis personnel du metteur en scène, Hector Manuel Perez Brito: la nécessité de faire connaître au public européen et spécialement au public de Genève, l'œuvre, jusqu'alors inconnue, de l'un des dramaturges cubains et universels les plus importants du XXème siècle, Virgilio Piñera. Ce fut la première fois qu'une pièce de Piñera a été présentée en Europe et en langue française.
S'agit-il du hasard ou d'une évidence, le thème de la philanthropie a beaucoup de références en Suisse. Déjà en l'an 1805, Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827) avait créé à Yverdon une des premières institutions, dont la méthode éducative était marquée par la tendance clairement philanthropique et la réforme sociale. La Suisse compte actuellement avec de nombreuses organisations, institutions, associations à caractère philanthropique et d'assistance humanitaire. Peut-être, philanthropie par défaut et le contraire par excès …
Derrière chaque perception, le reflet d'une ombre est son image découverte. Seules restent des questions : comment mesurer les valeurs humaines, quand d'autres ont été imposées pour s'éloigner justement de la nécessité primaire de l'existence ? Les grandes folies ne seraient-elles pas par hasard des vérités offensées ? Combien cela coûte de vivre des autres ? L'argent se mange-t-il, par où ? Derrière le silence et le calme apparent ne se reposerait-t-il pas un chaos domestiqué ? Les instincts refoulés et adoptés par la raison engendreraient-ils la résignation et le conformisme ? Dans l'absurde résident nos plus grands plaisirs et « El Filantropo » transcende dans le temps parce qu'il saisit un conflit inhérent à l'homme : le pouvoir et son offuscation démesurée à disposer et manipuler les différences. Mais le pouvoir est une carence …
Hector a tenté une réponse, une sortie purement scénique et « El Filantropo » est cette porte tournante, ce carrousel de miroirs où les silhouettes tournent et retournent jusqu'à rencontrer au final la peau des hommes. Le corps humain avec ses attributs concrets, mouvements et fonctions, est dans la culture la métaphore centrale qui pointe vers plusieurs dépendances abstraites. Le corps humain, avec sa matérialité concrète et essentielle, sert pour exprimer des notions culturelles proches du fonctionnement des relations dans la société. Le corps comme métaphore n’appartient pas seulement à la culture littéraire et théâtrale, mais encore, les parties du corps fonctionnent aussi dans le langage quotidien comme allégorie pour éclaircir les relations et les fonctions sociales.
Les personnages et la situation dramatique dans laquelle ils sont immergés, non seulement appartiennent à une réalité scénique, mais également à cette autre réalité qu’est la vie, le quotidien, la société avec tous ses rêves et motifs, ses conflits et apparences. C’est cette certitude que je me propose de comprendre et de vous faire partager. « De toute façon, pour être certain, je vous dirais ; en vous exposant la réalité, regardez-vous dans ce miroir ! … »
L'auteur, Virgilio Piñera
Poète, narrateur, homme de théâtre, Virgilio Piñera (1912-1979) s’initie à ce dernier genre littéraire à la fin des années 30. Créateur de taille universelle, avec une conception particulière de l’homme et son monde, en possession d’une culture vaste, d’une imagination porteuse et un sens de l’humour aigu, il est considéré, sans aucun doute, comme le père de la dramaturgie cubaine contemporaine. Durant des années, depuis les années 40, Piñera s’est défendu comme un négationniste, le plus grand représentant de ce que l’on appelle « l’esthétique négationniste », ce qui l’a toujours situé depuis sa première polémique en 1948 au sujet de « Electra Garrigo » comme un franc-tireur dont les tirs étaient redoutés. Les années démontreront que cette négation, qu’il n’a en réalité jamais abandonnée, était la forme avec laquelle il assumait une « culture de résistance » face aux valeurs congelées, la rhétorique et le mensonge établis, l’accommodement, la superficialité et l’indifférence sociale face à l’intelligence. Il a été le fondateur des journaux « Origenes » et « Ciclon » qui marqueront l’avant-garde littéraire cubaine.
Il a émigré à Buenos Aires (Argentine) en 1946 où il a passé une bonne partie de sa vie. Jorge Luis Borges a été son premier lecteur et éditeur. Dans cette ville, il a traduit « Ferdydurque » de W. Gombrowicz. Paradoxalement, on pourrait dire que ce Cubain appartient au grand courant ricanant et désespéré qui, de Kafka à Schultz, a marqué la littérature européenne de l’Est au XXème siècle.
Parmi ses œuvres théâtrales les plus connues, on dénote entre autres : La Niñita Querida, Jesus, Aire frio, La Boda, Falsa alarma, El Trac, ainsi que des contes (« Los cuentos frios », etc.). Piñera mourra le 18 octobre 1979 dans un silence absolu et oublié dans la censure. Pourtant, il laissera pour le théâtre universel un legs jusqu’à présent presque inconnu, un legs à l’homme dans son existence à travers le temps.
A propos de son théâtre et avant même la première de la pièce « El Filantropo », il signala :
« ... es harto sabido que un autor teatral se hace en gran medida con el agrado o desagrado con que el público acoge sus obras. Por otra parte no se me oculta que la gente joven que escribe hoy teatro hará obras mucho mejores que las mias. Esto es lo normal, lo lógico. No hay ninguna razón para que no produzcamos nuestros Shakespeare. Ahora las condiciones son inmejorables. De todos modos, y para ir al seguro, yo les diría; poniendoles mis obras por delante: ¡ Mirense en este espejo! ... »
Synopsis de la pièce « El Filantropo »
Un vieux millionnaire de 60 ans, appelé Coco, publie une annonce dans le journal où il proclame sa décision d’offrir ses millions. Clairement, cette nouvelle attire l’attention de beaucoup de personnes dans le besoin qui, séduites par cette idée, se donnent rendez-vous dans la maison du Philanthrope. « … mais les millions ne s’offrent pas comme ça … ». Coco pose des conditions : il offre ses millions contre quelque chose en échange… et quoi ? Du plaisir !
C’est ainsi qu’il créa dans sa maison une sorte de laboratoire où une micro-société s’est instaurée : trois personnes qui font les chiens ; deux « écrivants » qui écrivent machinalement la même phrase durant des heures ; un jardinier qui arrose des plantes imaginaires avec un tuyau d’arrosage sans eau ; deux amants bâillonnés symbolisant l’amour ; un serviteur, unique personne réellement rémunérée.
Cette expérience attire, d’ailleurs, l’attention des médias qui, invités par Coco, viennent dans sa maison pour réaliser un reportage sensationnel sur la réussite atteinte par Coco dans le domaine de l’exploitation de l’homme par l’homme. C’est ainsi que se déclencha la première « guerre des nerfs ».
Elisa, une femme submergée par une misère extrême et qui a lu la nouvelle dans le journal, frappe à la porte de Coco. Elle lui demande la somme de 50 pesos pour pouvoir sauver son mari atteint d’une tuberculose phase terminale. Coco se moque d’elle misérablement en lui proposant une tâche de toute évidence impossible. Elisa échoue et son mari meurt. Coco assiste aux funérailles en amenant une belle couronne.
A ce moment-là, Maria, une des « écrivants », prépare un plan pour neutraliser Coco. La micro-société, malgré le conformisme et la soumission, commence à prendre conscience du piège, l’escroquerie, les fausses promesses, la manipulation de toute sorte. Elle découvre les résultats désastreux du sarcasme de l’autre face de la philanthropie : folie, stress, crispations, aliénation, perte des valeurs. Le plan produit ses effets : Coco commence a se dégonfler.
Conception scénique
Genre : farce anticonformiste
Avec l’oeuvre « El Filantropo », je me propose de démontrer la carence qui se cache derrière le pouvoir et les manipulations dont il se sert pour les occulter. La réalité scénique qui se manifeste dans cette oeuvre et le contexte dans lequel elle se déroule, nous donnent la possibilité d’établir un lien entre les valeurs et les forces conflictuelles qui conditionnent les relations dans une société. En utilisant l’humour et la dérision, nous pouvons démasquer ces relations et par conséquent, mettre en évidence le poids absurde que la futilité répand sur l’existence de nos jours.
Distribution
Des 15 personnages de la pièce originale, j’ai conçu une adaptation à 9 personnages, qui sont les plus significatifs pour la viabilité tant du drame que de l’énonciation de la mise en scène :
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Coco (Pierre Le Noc): pouvoir omniprésent, scientifique, philanthrope, banquier, chef d’orchestre, dompteur de fous, jongleur de l’espoir. Son grand plaisir est de manipuler les âmes en utilisant l’extravagance du pouvoir et son sarcasme comme reflet. Maître de l’ironie et des apparences, il a besoin de ces âmes pour survivre.
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Maria (Eloïse Tur): mère des révolutions, mouton noir. Anarchiste, elle refuse toute la manipulation de Coco. Agitatrice, elle s’obstine à changer le fonctionnement de la multitude et le sens de son mécanisme.
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Carlos (Siu Pham) : bureaucrate par excellence, intellectuel toujours au bord de la crise de nerfs. Il s’étouffe dans une marée de papier.
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Serafin (Olivier Collongues): homme à tout faire, bras droit et serviteur de Coco. Il est le seul qui soit rémunéré pour son travail. Un sordide opportuniste et fétichiste occasionnel. Superviseur du bon fonctionnement des affaires et de la machine.
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Motica (Katia Aluze): petit chienne coquette et prétentieuse. Malgré qu’elle appartienne à la plus humiliante des conditions, elle est le reflet de la consommation des masques (de l’apparence). Goût du miroir et peur du reflet, adoratrice de la mode et la photo. Aboie des futilités.
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King (Beau Anobile): homme commun, réduit à l’état de chien pour une nécessité purement familiale. Sans scrupules, il est victime de l’aberration de Coco et trouve un certain plaisir en sa condition canine. Il est capable de faire n’importe quoi derrière son image de père de famille et de mari désespéré. Vit pour manger.
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Elisa (Lucka Koscak): femme de ménage, paysanne. Mère et future veuve sacrifiée. Son apparition est la limite de la manipulation et la mort.
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Le journaliste (Boris Golay) : les médias, photographe de calamités, de la décrépitude humaine. Invité et allié de Coco. Promoteur des valeurs de trucage, chaque flash est un calvaire aveuglant. Lèche-botte du sensationnisme. Il se moque misérablement.
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Oscar (Jacynthe Lamon): le néant, la stérilité. La transformation la plus complète de l'automatisme. Automate, de l’éthéré. En sa condition de jardinier du vide, il est l’idéal philosophique de Coco. En perpétuelle inertie dans l’équilibre. Face au pouvoir, il se penche du côté le plus fort.
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Les deux bâillonnés (Rémy Strautmann) : symbole de l’amour attaché par la torturante obsession de l’argent, « bondage » ou manifestation de la frustration sentimentale. Ces deux personnages transformés en patins pour les événements deviennent spectateurs de ce spectacle macabre et signe à la fois de la persévérance de la foi et du plaisir. S’embrassent jusqu’au mimétisme micro-céphalique.