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Fausse Alarme à la Parfumerie de Genève du 8 janvier 2019 au 27 janvier 2019
1.Généralités
Fausse Alarme de Virgilio Piñera, auteur cubain du 20ème siècle, est une œuvre théâtrale qui n’a jamais été publiée en français. Ecrite en 1946, elle n’apparait chez les libraires hispaniques qu’en 1949.
Elle est pourtant le premier exemple au niveau mondial de théâtre de l’Absurde et précède en cela la célèbre Cantatrice Chauve d’Ionesco.
Fausse Alarme a été jouée la première fois le 28 juin 1957 au théâtre Lyceum de la Havane.
Le critique cubain Rine Leal expliquait ce qui lui a plu dans Falsa Alarma :
…d’abord cette réduction de la réalité en des termes intellectuels à l’occasion abstraits, ce duel de mots qui ont cessés d’être des concepts et des définitions, l’inégalable humour du texte et ses situations élaborées d’une façon différente et surtout peu usuelle, la sensation angoissante qui émane de la recherche, pour l’assassin, de sa vraie personnalité, le fait de ne pas prendre la réalité au sérieux et finir par dire des choses très sérieuses ; en un mot, la touche de Virgilio Piñera contient un matériel dramatique qui dans les mains d’un auteur ayant moins d’imagination théâtrale et littéraire, se serait converti en une histoire « maltraitée », en une ode au mélodrame.
A la porte de la pièce de Piñera, on pourrait poser un écriteau pour éviter les vraies alarmes.
La justice est un fondement de notre société. Elle se met en scène dans toutes les structures organisées depuis le début de l’ère humaine. Elle est rite, elle est cérémonie, elle est spectacle mais elle est mythe et concept immuable, pilier de l’état, ainsi que gage même de l’existence de Dieu !
Avec Fausse Alarme, Virgilio Piñera tord le cou à la justice sans lui manquer de respect cependant. En effet, il ne plaisante pas avec la souffrance vraie des victimes mais dresse un constat impitoyable, drôle et absurde de la pratique de la justice, de la banalisation de la violence, du pouvoir de la justice, de la manipulation, selon les convenances de certains, de l’histoire, des valeurs humaines qui se retrouvent bafouées pour faire gagner celui-ci au détriment de celui-là.
Les personnages de Piñera sont pratiquement schizophrènes. Ils ne s’écoutent pas.
Cette pièce est une sorte de radiographie où l’on voit l’âme humaine et où on la montre tel un corps.
L’écriture de Fausse Alarme s’effectue bien avant la révolution cubaine de 1959, avant même le coup d’état qui mit Battista au pouvoir. Le sujet traité et la façon humoristique, corrosive et absurde que choisit Piñera pour cette œuvre montre également combien cet immense auteur était visionnaire. Fausse Alarme dénonce l’arbitraire, le mépris et la légèreté coupable des individus qui détiennent un pouvoir, si petit soit-il. Aux autres, il ne reste que le désespoir.
Et selon Piñera, il ne nous reste en fait que le rire qui, d’après Boris Vian … est la politesse du désespoir.
Cela s’applique bien au théâtre de l’absurde dans toute sa palette.
Cette œuvre au demeurant mineure dans l’œuvre de Piñera est consacrée à un thème majeur de l’histoire des hommes. Elle est inédite en français, jamais représentée en Europe, elle constitue une pierre fondatrice d’un genre qui a révolutionné le théâtre, l’Absurde.
Ecrite au sortir de la 2ème guerre mondiale, comble des paradoxes, des petits arrangements entre ennemis, absurdité poussée à son apogée, justification des horreurs et mise en exergue des idéologies les plus pragmatiques pour mener les humains à la négation d’eux-mêmes, de leur génie propre.
Capitalisme ou dictature du prolétariat, même résultat dans l’oubli de l’humain, de ce qui le caractérise et le rend beau, dans la noblesse des sentiments, dans la fantastique fragilité et subtilité de l’esprit, terreau magique de la création.
Déniant les leçons de l’histoire, les politiques fabriquées au lendemain de la 2ème grande boucherie mondiale ont mené au désastre d’aujourd’hui, inexorablement : montée des intégrismes, des nationalismes, des individualismes sur fond de mondialisation !
Le génie de Piñera c’est d’avoir dit cela dans une petite pièce en un acte, légère comme un petit coup donné avec le plat de la main sur la surface immobile de l’eau, l’air de rien, sans rien y changer, mais en troublant, mine de rien, l’étang, jusqu’aux bords, jusqu’à la vase, tout au fond.
2.Motivation du Metteur en Scène
2.1.Généralités
Avant tout, monter Fausse Alarme est une façon de rendre hommage au théâtre, sans prétention mais en pleine et entière conviction.
Une occasion d’approfondir la recherche théâtrale ainsi que d’en perfectionner les éléments d’expression durant la mise en scène : action, gestuelle, voix, caractérisation.
Constatant que le théâtre est une représentation éphémère de la réalité et que cette réalité est toujours une première impression, la possibilité de s’immerger au-delà du concept de justice-pouvoir préétabli et me permettre de surpasser la reconnaissance de ce que j’ai vécu.
Les motifs qui sont élémentaires et vitaux pour la condition d’un acte si noble comme la création restent intacts, survit alors l’expérience.
2.2.Les compromis personnels
La nécessité de faire connaitre l’œuvre quasiment inédite d’un écrivain majeur du 20ème siècle un des dramaturges cubains et universel, notre contemporain enfin, Virgilio Piñera.
Précisément Falsa Alarma, dernier volet d’un triptyque composé du Filantropo et El Trac, dont la chronologie a ouvert le chemin à un des genres théâtraux les plus abordé et polémiste de notre époque : le théâtre de l’Absurde ou Absurdiste.
2.3.Les circonstances
Avoir vécu en Suisse et en Europe où le thème de la justice a beaucoup de références contemporaines et historiques, tout ce que cette réalité m’a apporté dans le courant de cette période, je ne sais si c’est un hasard ou une évidence, mais ce sont mes circonstances qui se mêlent à celles du XXème et XXIème siècle.
Ce continent pionnier de la « Déclaration des Droits de l’Homme », de la liberté d’expression, de la presse, de la justice sociale, humanitaire, les organisations, institutions, associations et toutes sortes d’organismes font que la justice y est présente comme un leitmotiv.
Par ailleurs, je fais un constat paradoxal : la justice est par défaut et le contraire, par excès.
2.4.La conjonction du personnel et des circonstances
Derrière chaque perception, le reflet d’une ombre et son image découverte, il ne reste que des questions. Qu’est-ce qui se cache derrière tant de dévotions et de justices apparentes ? Comment mesurer les valeurs humaines quand d’autres ont été imposées, justement pour nous éloigner de la nécessité primaire de l’existence ? Qu’est-ce qu’une société où la justice et le pouvoir vont main dans la main et achètent souvent par la force même les valeurs des individus ? Quand cesserons-nous d’être nos propres cobayes dans une justice érigée en système, par moment, déséquilibrée et aveugle ?
La bonté, la compassion, la charité humaine ne sont-elles pas peut-être la fameuse « joue gauche » tendue aux sarcasmes et à l’ironie de la « pensée juste » ? Combien de masques a la parole et combien de visages la déshabillent ? Combien de bustes la véritable justice a-t-elle ?
Mais ce ne sont pas seulement des questions issues de cette conjonction : dans l’Absurde réside notre plus grand plaisir et Fausse Alarme transcende la temporalité où elle répand un conflit inhérent à l’homme, le pouvoir et son « offuscation » démesurée à disposer et à manipuler la justice et ce qui est juste.
Mais ce pouvoir est une carence.
3.Conception artistique
Fausse Alarme est un labyrinthe cyclique, un cercle de reflets où les silhouettes des personnages vont et viennent jusqu’à rencontrer peu à peu la peau des hommes !
Le corps comme métaphore n’appartient pas seulement à la culture littéraire ou théâtrale, mais encore les parties du corps fonctionnent aussi comme langages quotidiens, comme allégories clarificatrices des relations des individus et des fonctions sociales.
Ces personnages et la situation dramatique dans laquelle ils sont plongés n’appartiennent pas seulement à une réalité scénique immédiate mais encore à cette réalité autre qu’est la vie, le quotidien avec ses rêves et ses motifs, ses conflits et ses apparences.
C’est empli de cette certitude, que je me propose de comprendre et de partager.
Comme dirait Piñera : « De toutes façons, pour être sûrs, je vous le dit en vous exposant la réalité, regardez-vous dans le miroir ! »
4.Synopsis
Un homme de province se rend à la Capitale à la recherche d’un travail. Il se voit impliqué dans un meurtre qui a lieu à l’hôtel America. Amené devant le juge, ce dernier entreprend de l’accuser du crime et il confesse sa faute. Non content de cela, le juge tente de lui faire avouer les raisons de son acte en affirmant qu’il a agi sous couvert d’une liaison avec la veuve, entre autre. Tout se déroule dans une mise en scène exagérée des rituels de la Justice.
L’arrivée de la veuve (femme désespérée dans son brutal veuvage) crée entre elle et le juge une sorte de jeu macabre, atroce, insupportable, théâtre dans le théâtre, qui insinue dans l’esprit de l’accusé une espèce d’enfer, une annihilation totale de sa condition de criminel et d’homme, tout cela l’empêchant de voir la « fausse alarme» dans laquelle il a été entraîné.
5.Les personnages
5.1.Le Juge
Un clown poussiéreux, manipulateur, dompteur de fous, jongleur d’espoir, vieux daguerréotype rongé par les sarcasmes et la luxure de ses plaisirs pervers. Sosie extravagant de sa propre apparence, parjure invétéré.
5.2.L’Assassin
Homme commun, le plus commun des mortels, paysan en disgrâce, prolétaire soumis à la loi de l’indifférence, affreusement abattu, transpirant du sang par les mains, égoïste.
5.3.La Veuve
La veuve noire par excellence, caricature pathétique de l’opportunisme, bruyamment affligée dans sa fausse condition, un voile noir comme une image passagère, trapéziste et vautour, édifiante annonciatrice de la tragédie humaine, égocentrique sans contour, cyclothymique.
6.Genre
Farce polysémique anticonformiste
7.Espace Scénique
Espace clos, genre de synthèse entre le cabinet d’un psychiatre et la salle de torture, musée en ruine d’une salle d’audience, une statue mutilée de la Justice. Ring de boxe et salle de bal communal, puits aveugle.
